L'impact des conditions climatiques sur les volumes de production viticole en France
Avec le réchauffement climatique, c’est la viticulture de terroir qui est menacée. Si l’on doit changer de cépages, en ajouter de nouveaux, changer de porte-greffes, voire irriguer, on sort complètement de ce qui caractérise le vignoble bourguignon et notre art de la viticulture. Et donc ce qui a motivé notre classement.
— Bertrand Gauvrit, Directeur de l’Association des climats du vignoble de Bourgogne
Classés au patrimoine mondial de l’Unesco, les 1247 climats de Bourgogne inscrits en juillet 2015 sont sous pression. Mais la Bourgogne n’est pas la seule région affectée.
Les impacts du changement climatique sont nombreux sur toute la France, qu’il s’agisse de l’état des vignobles, de la biodiversité, de la hiérarchie des terroirs, et plus largement l’économie de la filière.
Regarder dans le rétroviseur est intéressant mais ne nous éclaire guère sur l’avenir tant les changements seront majeurs. S’intéresser aux volumes de production est l’angle d’attaque de notre propos, car il est documenté, factuel. L’état des vignes, plus difficile, celui des sols, on manque de données, le volet oenologique n’est pas encore assez documenté.
Alors, oui, la production en croissance à l’échelle nationale en 2022 vs. 2021, mais cela cache de grandes disparités et des comportements très différents selon les régions, liés notamment aux phénomènes extrêmes et peu prévisibles de la météo.
Mais ce n’est pas aussi positif à l’échelle régionale. En haut du classement, on retrouve le Jura avec une progression de +249%, et la Champagne qui est en effervescence avec une progression de +99%. En bas du classement : Charentes et Sud-Ouest connaissent respectivement des baisses de -1% et -8%.
Mais que savons-nous des raisons derrière ces disparités ? Le climat océanique a-t-il été facilitant ? Le climat continental est-il pénalisant ?
Analysons plus en profondeur l'impact du climat sur la production des deux régions qui produisent le plus de vin – Languedoc-Roussillon et Charentes.
En Languedoc Roussillon, la production 2022 a progressé de 36% par rapport à 2021. Estimée à 13,2 millions d'hectolitres, elle retrouve son niveau moyen des 10 dernières années (hormis 2017 et 2021 en raison des épisodes de gel noir).
Mais pourquoi ? Le climat est-il un élément d'explication de l'écart de production ? Certainement, mais pas le seul et il faut une analyse très fine. Regardons de plus près le climat des 22 derniers mois en Languedoc.
2021 et 2022 présentent un profil climatique différent. Marquée également par un épisode de gel début avril, l’année 2022 connait toutefois une production supérieure de 32 % par rapport à 2021.
Chaque carte, dessinée selon le territoire de Languedoc-Roussillon, représente un mois de janvier 2021 à octobre 2022.
La couleur des cartes représente les températures minimales et maximales observées.
Les lignes sur les cartes illustrent le niveau de précipitations enregistré pour le mois concerné.
Quels sont donc les moments clés en 2021 et 2022 pour le vignoble du Languedoc ?
L’année 2021 est marquée principalement par l’épisode de gel de la nuit du 7 au 8 avril qui touche 70 % du vignoble en moyenne amputant fortement la production.
Le vignoble est bien arrosé en Novembre 2021 et tout au long des mois clés du cycle végétatif.
L’année 2022 démarre sous des températures plus chaudes et connaît un printemps particulièrement humide et favorable au démarrage physiologique de la vigne.
L’épisode de gel d’Avril 2022 épargne le vignoble à quelques exceptions près.Des contraintes hydriques moins fortes qu'en 2021 permettent un plus grand confort hydrique et des températures élevées.
Le Languedoc-Roussillon est donc la région qui a connu le "meilleur printemps".
Les orages du mois de juin profitent aux secteurs jusqu'alors moins arrosés.
En clair, à la fin août, l'état sanitaire du vignoble est parfait.
Des épisodes de gel et de grêle aux impacts limités, contrairement au gel noir de 2021 a ruiné de nombreuses vignes et entrainé une forte baisse de la production.
Donc en 2022, le volume est au rendez-vous, mais la qualité ? Très probablement un grand millésime en Languedoc-Roussillon et les vignerons devront développer tout leur talent dans la vinification. Il faudra goûter !
Est-ce qu’on observe la même chose en Charentes ?
En Charentes, La production 2022 recule de 1% par rapport à 2021. Estimée à 9,6 Millions d'hectolitres, elle a été revue début novembre. Elle "reculerait sur un an tout en se situant au-dessus de la moyenne quinquennale". En quoi le climat explique-t-il cet écart de production ?
L’épisode de grêle de juin 2022 impacte la production qui connaît une baisse de 1 % par rapport à celle de 2021 que le gel d’avril n’avait pas épargnée.
Regardons la météo de Charentes en 2021 et 2022 de plus près sur cette infographie. Encore une fois, chaque carte représente un mois, où les couleurs sont liées à la température, et le motif de lignes – les précipitations.
L'épisode de grêle de juin 2021 a fortement touché certains secteurs et a entamé le beau potentiel de production, la sortie de raisins étant abondante en sortie du gel d'avril 2021. Le manque d'eau a limité la taille des baies.
L'épisode de gel d'Avril 2022 a peu touché la région, contrairement à celui de 2021 qui l'avait impactée assez lourdement.
La raison : le débourrement tardif (apparition des bourgeons : ndr) de l'ugni blanc majoritaire à plus de 95% en Charentes.
En revanche, un gel plus tard dans le mois eut été catastrophique.
Le vignoble, dans son ensemble, a bien résisté à la sécheresse et les précipitations tardives à la fin de l'été ont été bénéfiques aux volumes. La baisse de la production a finalement été réduite.
2021 vs. 2022 est un 1er aperçu des impacts du changement climatique. Perte partielle de récolte en Charentes due à une phénomène extrême en 2022, et phénomène identique en Languedoc mais en 2021. Le Languedoc s'en sort bien grâce aux températures douces du printemps puis très chaudes de l'été.
Mais le millésime 2022, dans les régions les plus méridionales, présente des signes avant-coureurs des décennies à venir : taux de sucre et alcool plus élevé encore, acidité plus basse… Les fréquences plus élevées de phénomènes météo extrêmes et des périodes plus longues de sécheresse vont entamer potentiellement les rendements et la qualité dans les années à venir.
Les travaux des scientifiques (du projet Laccave notamment) identifient des scénarios très pessimistes où des grandes régions viticoles du sud de la France pourraient disparaître et d'autres apparaître plus au nord ou à l'ouest à l'horizon 2100. Toutefois, le niveau important d'incertitudes concerne la physiologie de la vigne et sa capacité (forte) à s'adapter à un climat changeant; la variabilité spatiale du climat local (orientation, pente, exposition, …) et les méthodes d'adaptation raisonnée au niveau de l'exploitation visent aussi à tempérer les hypothèses les plus noires.
Quel impact pour le futur ?
Les institutions doivent s'y mettre (révision des cahiers des charges des AOP, rôle de l'Etat, rôle des assureurs, …). Enfin consommateurs et citoyens doivent aussi supporter la filière dans les actions d'adaptation et d'atténuation des phénomènes climatiques.
Vinotracker est très attaché aux sujets du changement climatique et est un acteur engagé dans le développement durable et raisonné de la filière. Contactez-nous pour réaliser ensemble ce type d’analyse.